Andrzej Stasiuk

LE MONDE DES LIVRES, 16.02.06

Des coeurs en hiver

A l'Est, rien de nouveau ? L'ascension d'Andrzej Stasiuk au sein des lettres polonaises, où il rencontre l'un des succès les plus fulgurants de ces dernières années, vient contredire ce cliché. La carrière de cet écrivain de 45 ans, également poète et critique littéraire, avait pourtant débuté sous des auspices bien incertains, ses convictions antimilitaristes lui ayant valu deux ans de prison dans la Pologne communiste du début des années 1980. Le déserteur tirera de cette expérience un magnifique récit à la Jean Genet sur la déshumanisation en milieu carcéral, Les Murs d'Hébron, publié après la chute du régime.

La plume superbement poétique de ce grand admirateur de Jack Kerouac vous aurait jusqu'à présent échappé ? Raison de plus pour aborder résolument L'Hiver, un recueil de cinq nouvelles inédites à situer dans la continuité de Dukla (2003) et de ses Contes de Galicie (2004), tous deux traduits chez Christian Bourgois, qui fut l'éditeur de Gombrowicz en son temps.

"SYMBIOSE PAISIBLE"

Ces brefs récits mettent en scène les habitants d'un petit village des confins de l'Europe, une région âpre et montagneuse au carrefour de la Pologne, de l'Ukraine, de la Slovaquie et de la Hongrie. Là où les hommes se mesurent à eux-mêmes et à la nature loin de cette "civilisation de la surabondance" dont nous risquons tous de "crever", estime Stasiuk, un thème récurrent dans son oeuvre. Là aussi où, observe-t-il, "les bêtes se mêlent aux hommes, aux enfants, aux objets du quotidien en une symbiose paisible, comme si débutait une phase précoce et lente de la création où l'analyse émergerait à peine de la synthèse et où la voie suivie par le monde resterait une question particulièrement ouverte".

On y rencontre ainsi Mietek, qui annonce depuis dix ans qu'il va vendre sa baraque et s'installer en Silésie, qui chaque fois s'arrête au bistrot pour y reprendre son souffle, à trois stations d'autocar, pour finir immanquablement par rentrer chez lui la nuit tombée, "s'il le peut encore". Il y a Grzesiek qui, lui, récupère tout ce qu'il trouve, "les ballons crevés, les poupées délaissées, les ours en peluche trahis". Ou encore Monsieur Heniek, le colporteur de vêtements "second hand", chez qui les femmes viennent chercher "une preuve qu'entre Vienne (par exemple) et Bodaki s'étend une seule et même voûte céleste".

L'écriture toujours plus épurée de Stasiuk, où s'entremêlent sans cesse la description et l'hallucination, est servie par une intime connaissance de ces montagnes de Beskides où lui-même a choisi de vivre depuis 1987. "C'est là que plonge mon imagination mortellement lasse de l'Occident", explique-t-il dans son essai Mon Europe (2004). Aucune profession de foi idéologique ici. Nous serions plutôt dans la proximité du poète Czeslaw Milosz, qui disait souvent avoir voulu oeuvrer en faveur d'une curiosité accrue de ses contemporains pour la multiplicité des visages, des dénominations géographiques, des paysages, des rues, là où d'autres tentent de tout expliquer à l'aide de quelques idées générales. Stasiuk avoue pour sa part être obsédé "par les choses et les événements, les énumérations, les détails", son angoisse le conduisant à préférer aux régions opulentes celles plus pauvres "où les objets possèdent une vraie valeur, où, probablement, les gens les aiment ne serait-ce qu'un peu parce qu'ils n'en possèdent pas d'autres", là, en somme, où le temps s'étire à la frontière du présent et de l'éternité.

Il y a dix ans, Andrzej Stasiuk n'en a pas moins fondé avec sa femme une maison d'édition, Czarne. Ses deux collections phares, "Autre Europe, autres littératures" et "L'Européenne", celle-là réservée aux jeunes écrivaines d'Europe centrale, abritent quelques-uns des talents les plus prometteurs d'une littérature "autre-européenne" en plein essor. Et encore bien mal connue de ce côté-ci de l'ancien rideau de fer.

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L'HIVER d'Andrzej Stasiuk. Traduit du polonais par Maryla Laurent, illustrations de Kamil Targosz. Ed. Noir sur Blanc, 84 p., 12 €.

Alexandra Laignel-Lavastine
Article paru dans l'édition du 17.02.06


Si voleu, podeu llegir Stasiuk en castellà:

El mundo detrás de Dukla, El acantilado, Barcelona 2003. 12.00 €

Nueve, El acantilado, Barcelona 2004. 16.00 €

Mi Europa, El acantilado, Barcelona 2005. 15.00 €

2 comentaris:

  1. Recorde, de la lectura d'El mundo detrás de Dukla, la sensació d'experiment: un experiment arriscat basat en la reconstrucció literària del record, que redueix al mínim l’anècdota per tal de centrar-se en les sensacions, els paisatges, les gents; i sobretot en la llum, i com aquesta afecta la vida dels homes.
    Salutacions.

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  2. No sé tu, però jo vull que tota la creació estigui presidida per una simbiosi pacífica i enjogassada entre totes les criatures. I ho vull aquí i ara, però també des de sempre i per sempre.
    Espero (i espero, i espero) que el meu desig es faci realitat. Si més no, crec en la realitat del meu desig.

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